Été 65 — extrait de Basketball Diaries

Ça fait trois mois que j’en prends presque tous les jours, auxquels il faut ajouter des shoots « de temps en temps », depuis trois ans. J’ai mal aux jambes comme si j’avais joué six matchs de basket l’un derrière l’autre, mes yeux sont gonflés et humides. Mais ce qu’il y a de pire : cette petite voix qui s’insinue derrière la nuque, et alimente l’angoisse qui monte : « Un petit dernier d’abord, tu t’arrêteras demain.» Et ça revient sans arrêt dans la tête, on peut pas s’en débarrasser. On voit une cuillère, et on pense qu’à faire chauffer le mélange dedans, mes mains et mes bras sont pleins de traces de piqûres, et je n’ai rien d’autre à faire que rester là, au Quartier Général, cette turne dégueulasse, où pour une fois il y a pas un chat, parce que si je mets le pied dehors, la salle de billard va m’attirer comme un aimant, c’est bourré de dealers. Et qu’est-ce qui va se passer si Mancole ou un autre toxico repasse par ici et s’envoie sa dose sous mon nez ? Je peux même pas imaginer comment je vais réagir. Je ferais mieux de me tirer à la cambrousse, ici, j’y arriverai jamais… ça me rend tellement nerveux que je n’arrive plus à écrire. Prendre des calmants, ça sert à rien, ça fait que retarder l’échéance, je peux supporter d’avoir mal partout sans problèmes, mais c’est mon esprit qui n’arrive pas à être plus fort que le manque.
Et dire que ça me faisait marrer, ces phrases à la con sur le manque et tout le bordel, jusqu’à ce que j’en arrive là, assis sur ce canapé plein de vermine à éternuer sans arrêt et avoir envie d’hurler.

Jim Carroll

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